Mais savez-vous réellement ce que devient votre argent une fois déposé sur ces supports ?
Un documentaire présenté par Hugo Clément et diffusé sur France 5 le 26 mai 2025 dans le cadre de l’émission Sur le Front révèle une réalité bien moins transparente qu’il n’y paraît. Derrière l’image rassurante d’une épargne stable se cache une mécanique complexe où votre argent peut financer, à votre insu, des projets loin d’être éthiques ou écologiquement responsables. Retour sur une enquête qui bouscule les certitudes.
Livret aLivret A : quelle est la somme idéale à laisser sur ce compte d’épargne en 2025, selon ce spécialisteLe Livret A : un placement pas si neutre qu’il n’y paraît
Plébiscité par près de 56 millions de Français, le Livret A est un produit d’épargne réglementé, géré en grande partie par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). On le croit sûr, garanti, et au service du bien commun. En réalité, la CDC refuse de publier le détail précis de ses placements, malgré les nombreuses demandes d’associations et d’ONG
Selon l’enquête de Sur le Front, la CDC détient plus d’un milliard d’euros d’actions du groupe Saint-Gobain, spécialisé dans les matériaux de construction. Mais ce n’est pas tout. Elle investit également dans des forêts françaises qui rapportent grâce à la coupe de bois… mais aussi par l’organisation de chasses à courre, une pratique de plus en plus controversée. Cette utilisation de l’épargne populaire pour des activités peu compatibles avec la transition écologique soulève de nombreuses interrogations.
Assurance-vie : la face cachée des fonds sécurisés
Autre pilier de l’épargne des ménages, l’assurance-vie totalise à elle seule plus de 1 900 milliards d’euros d’encours. Parmi les produits les plus populaires : les fonds en euros, réputés pour leur stabilité et leur garantie en capital. Mais là encore, la transparence n’est pas toujours au rendez-vous.
L’enquête dévoile que certaines compagnies d’assurance investissent l’argent de leurs clients dans des actifs comme des cuves de pétrole en Île-de-France, ou encore des actions d’ExxonMobil et de TotalEnergies. Autrement dit, même les épargnants souhaitant éviter les énergies fossiles se retrouvent malgré eux à financer des groupes pétroliers. Le tout, souvent sans en avoir conscience, tant les brochures commerciales des assureurs restent floues sur les détails des investissements.
Le label ISR : entre avancée et contournement
Créé pour permettre aux épargnants de choisir des placements alignés avec leurs valeurs, le label « Investissement Socialement Responsable » (ISR) a longtemps servi de garantie éthique. En mars 2024, ses critères ont été renforcés, notamment avec l’exclusion des entreprises développant de nouveaux projets d’extraction fossile.
Résultat : au lieu d’adapter leurs portefeuilles, certaines compagnies ont tout simplement abandonné le label. C’est le cas de produits commercialisés par Amundi, la filiale du Crédit Agricole, qui a discrètement retiré la mention ISR. Une décision qui montre les limites de l’autorégulation du secteur financier. En l’absence de contraintes juridiques strictes, les labels peuvent devenir un simple outil marketing, vidé de leur substance.
Livret aLivret A : face l’incertitude du gouvernement, faut-il retirer son argent sur ce compte ?Les grandes banques françaises épinglées pour leurs soutiens au charbon
Le documentaire s’intéresse aussi aux grandes banques françaises, notamment la BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et le groupe Banque Populaire / Caisse d’Épargne (BPCE). Officiellement engagées dans la transition énergétique, ces institutions continuent pourtant de financer des projets très polluants
C’est le cas de la mine de charbon de Garzweiler, en Allemagne, exploitée par l’entreprise RWE. Cette mine à ciel ouvert, l’une des plus vastes d’Europe, devait fermer d’ici 2030. Mais en réalité, son expansion se poursuit, au détriment de villages entiers qui sont rasés pour permettre l’extraction du lignite. Or, selon plusieurs ONG comme Reclaim Finance ou les Amis de la Terre, ces projets bénéficient encore d’un soutien financier direct ou indirect des grandes banques françaises.
Une nouvelle génération d’acteurs pour une finance plus éthique
Face à ce constat, de nombreux citoyens s’organisent pour proposer des alternatives. Ariel Le Bourdonnec, ancien professionnel de l’assurance, a rejoint Reclaim Finance pour promouvoir une réorientation massive des flux financiers vers les énergies renouvelables. De son côté, Eva Sadoun a fondé Rift, une application qui permet à chacun d’évaluer l’empreinte carbone de ses placements bancaires et de faire des choix plus éclairés.
L’artiste Joanie Lemercier utilise quant à lui son travail pour sensibiliser le grand public à l’impact environnemental des projets liés au charbon. Et Alice Longuepe, ex-banquièr(e), œuvre désormais au sein de la NEF, une banque coopérative et éthique qui finance exclusivement des projets à vocation sociale ou écologique. Tous partagent un même objectif : rendre la finance compréhensible, responsable et au service du bien commun.
L’opacité financière, un frein à la transition écologique
L’un des constats majeurs du documentaire est l’opacité généralisée dans la gestion de l’épargne. La complexité des circuits financiers, les produits empaquetés, les intermédiaires multiples rendent très difficile, même pour un épargnant averti, de savoir exactement ce que finance son argent.
Pourtant, selon un rapport de l’Agence de la transition écologique (ADEME) publié en 2023, une épargne alignée avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris permettrait de réduire jusqu’à 4 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an. Un potentiel colossal, largement sous-utilisé aujourd’hui.
Vers une régulation plus stricte ?
Face à la pression de l’opinion publique, des signaux positifs apparaissent. En 2024, le Parlement européen a adopté une directive renforçant les obligations de transparence des produits financiers vendus comme « durables ». En France, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a également lancé un groupe de travail pour encadrer l’usage des labels ISR, Greenfin et Finansol.
Mais pour de nombreux experts, cela ne suffira pas. Il est urgent que les pouvoirs publics imposent des critères stricts et sanctionnent les abus. Car tant que l’argent des Français financera indirectement des activités polluantes ou contraires à leurs valeurs, la transition écologique restera hors d’atteinte.
Le documentaire Sur le Front met en lumière un paradoxe criant : l’épargne des Français, censée être un outil de sécurité et de projection vers l’avenir, contribue aujourd’hui à financer des pratiques destructrices pour l’environnement. Ce constat n’est pas une fatalité. Des solutions existent, portées par des citoyens, des startups et même certains établissements financiers engagés. Mais il revient à chacun de s’informer, de questionner son banquier, de lire entre les lignes… et de reprendre le contrôle de son argent.
Rendez-vous le Lundi 26 mai à 21.05 sur France 5 et sur france.tv pour voir le documentaire